Colloque International
Corps meurtris, beaux et subversifs :
Réflexions transdisciplinaires sur les modifications corporelles.
Université de Strasbourg, 28 - 30 avril 2016
Tout
au long de ces dernières années nous avons vu s’imposer dans les sciences
humaines et sociales un paradigme compréhensif dans les études sur le corps.
Ainsi, dans l'attention des chercheurs, l'analyse des stratégies communicatives
-et la symbolique- intrinsèques à l'acte de modifier le corps, prend de plus en
plus d'importance. Dans Anthropologie du corps et modernité, David Le Breton nous illustre
la notion, typiquement moderne, d’un corps « double, alter ego » (2011, 228).
Le corps se configurerait ainsi symbole de l’altérité, de l’autre (en)
nous-mêmes. Soutenant une épistémologie positive autour des modifications
corporelles, nous proposons de les envisager comme un effort subjectif
d’apaiser cette distance, ou bien ce « détachement ». Par le travail corporel,
le corps semble de fait assumer le rôle de « partenaire à concilier pour mieux
être soi » (ibidem, 229).
Ajusté,
corrigé, réparé, embelli ou bien utilisé comme instrument performatif, le corps
modifié répond toujours à une volonté subjective de remaniement. Cette démarche
peut répondre à des objectifs hétérogènes, par exemple en intégrant ou en
défiant les conventions socio-culturelles. Néanmoins, ces processus de
modifications corporelles apparaissent bien souvent comme une idéalisation de
l’exigence d’imprimer dans la chair le sens d’une quête identitaire personnelle
et/ou l’exigence d’assimiler une identification collective. Le concept d’un «
corps-relieur » (ibidem, 53) évoque aussi bien l’idée d’un corps médiateur entre
l’extériorité et l’intériorité du sujet (entre l’apparence et l’image de soi)
qu’entre l’individu et la ou les société(s) ou entre l’individu et les cultures
de référence.
Lorsque
je modifie sciemment mon corps, ou que celui-ci se modifie contre ma volonté,
par quels processus dois-je passer afin de conserver ou rétablir un équilibre
identitaire ? Comment vivre avec un corps qui affiche une « différence » avec
l’image que nous avons de nous-mêmes ? Dans l’analyse des pratiques de
modification corporelle, pouvons-nous toujours établir une approche
dichotomique, comme l’est celle de modifications « normatives » ou «
anti-normatives » ? Que ce soit au sein du milieu artistique performatif ou
bien dans celui médical, nous sommes confrontés à des corps modifiés qui
défient la capacité de classement en catégories de genre, d’espèce, ou d’âge,
entre autres. Quelles réflexions pouvons-nous poser face à ces corps modifiés
qui restent « hybrides » ? Au contraire, comment interroger les modifications
corporelles qui visent à sortir d’une certaine « hybridité » pour rejoindre une
apparence connotée plus favorablement ? Comment s’accommoder du regard et du
jugement des autres et de la société lorsqu’on vit dans un corps qui interpelle
? Quelles articulations théoriques possibles entre les modifications
corporelles qui renforcent des « passages » au sein de sa propre culture/groupe
de référence (Arnold Van Gennep, Les rites de passage) avec celles
qui sont vécues comme des marques de changement valorisées plus intimement ?
Nous
proposons aux contributeurs de réfléchir aux problématiques liées aux corps
modifiés et donc aux enjeux techniques, physiques, psychologiques, politiques,
juridiques, philosophiques et socio- anthropologiques qui se présentent à cet
égard. Nous ne posons aucune contrainte en relation aux contextes culturels et
aux circonstances dans lesquelles ces corps sont modifiés (accident,
reconstruction, embellissement, performance, jeu, sport, travail, etc.). Nous
invitons les auteurs à présenter une communication qui fasse référence à des
observations de terrain, et nous encourageons par ailleurs la capacité à
inclure dans leur réflexion des références d’autres disciplines curriculaires
(démarche de transdisciplinarité). Toute proposition répondant à des thèmes
connexes pertinents sera également prise en considération, sous réserve du comité
d’organisation.
Thématiques
et Axes de recherche
1. Les modifications corporelles à visée esthétique
Qu’il
s’agisse de modifications « superficielles » (coiffure, usage de cosmétiques,
soins dermatologiques, dentaires ou oculaires, etc.) ou bien de modifications
plus « invasives » (chirurgie esthétique, tatouages, bod-mods) la démarche
de valorisation de l’apparence possède une véritable complexité herméneutique.
Au-delà du désir d’améliorer l’apparence esthétique, les interventions
d’embellissement sont souvent entendues comme une (re) mise en harmonie de sa
présence corporelle avec l’image que l’on a de soi-même.
La
recherche d’apaisement psychique par le recours à des interventions esthétiques
reste cependant un sujet polémique et controversé. Comment interroger de façon
croisée et transdisciplinaire les relations entre corps et esprit, dans le
domaine de l’esthétique ? Comment réfléchir à une science esthétique qui se
veut de plus en plus thérapeutique ? Quelles ouvertures nous pose la
perspective d’une hybridation entre les pratiques médicales avec celles de soin
esthétique ?
Dans
une époque de « démocratisation de la beauté » l’accès aux pratiques de beauté,
même chirurgicales, devient de plus en plus facile. Cela semble se coupler
aussi bien à une subjectivation qu’à une multiplication des modèles esthétiques
de référence. Ainsi, le paradigme sociologique d’une « tyrannie de la beauté »
est-il encore valable ?
Notre
apparence corporelle dévoile et incarne des signes dont la reconnaissance
implique un procédé d’identification avec nos groupes sociaux de référence.
Qu'il s'agisse d'une volonté de conformer son apparence à un modèle valorisé
socialement et/ou bien d'une démarche de subversion ou transgression des codes
esthétiques socialement valorisés, la mise en beauté du corps implique des
répercussions sociales que l'on ne peut pas ignorer. Par ailleurs, considérant
le caractère irrévocable ou choquant de certaines pratiques d’intervention
esthétique, peut-on les lires comme des conduites à risques ?
Les
modifications esthétiques impliquent par ailleurs une relation médecin-usager
particulière. Quelle importance revêt l’accompagnement des médecins/opérateurs
de la beauté dans la construction ou dans la restauration de soi ? Face à la
réalité d’un usager de l’esthétique de plus en plus autonome, quelles limites
posent les cultures, les législations, les injonctions morales à ce propos ? Ou
bien, quels espaces et temps sont laissés à la créativité esthétique ? L’intérêt
de cet axe porte aussi sur les techniques d’embellissement transmises,
partagées et diffusées ainsi qu’aux innovations produites et expérimentées dans
un contexte global et par des réseaux familiaux et/ou institutionnels.
Nous
proposons enfin d’interroger les frontières du « beau » par une analyse des
notions d’esthétique « normative / anti-normative ». Que ce soit une réflexion
autour des concepts d’apparence (« souhaitable », « appropriée », « élégante »,
« décente », « belle », « sexy » ou bien « laide », « vulgaire », « indécente
», « monstrueuse », etc.) ou bien par des descriptifs d’observations de
terrain, nous incitons les répondants à nous présenter des analyses autour des
pratiques et des représentations concernant le domaine des soins esthétiques.
2.
Reconstruire son corps après l’accident : Corps mutilé/handicapé, technologies
de la santé et hybridités identitaires
L’expérience
de l’accident, de la maladie ou du handicap change radicalement le rapport
qu’ont les individus à leur corps et aux corps. Suite à un changement brutal et
involontaire de ses capacités, de ses limites ou même de sa constitution, le
corps devient comme étranger à lui-même, un « autre » indésirable et source
d’une certaine souffrance tant physique qu’identitaire. Il faut pourtant se
reconstruire, se réadapter, apprivoiser ce nouveau corps et en faire à nouveau son corps. Comment
composer alors avec ce corps différent ? Quels processus, quelles stratégies
les individus adoptent- ils pour réinvestir cette nouvelle vie, se forger une
nouvelle forme de mobilité, une nouvelle identité corporelle, une nouvelle
place dans cette société à la fois normalisée et exigeante ? La marginalité du
corps handicapé ou mutilé cristallise par ailleurs un certain nombre
d’imaginaires anciens ou contemporains (pouvant aller du monstre au cyborg),
que notre groupe de travail aura à cœur d’analyser et de mettre en perspective
avec l’expérience subjective des individus qui sont parfois touchés de façon
collatérale par ces conceptions fantasmagoriques. Quelle image du handicap dans
notre société ? Quels préjugés, quels fantasmes ? Quelles conséquences sur la
vie quotidienne, sur les interactions sociales, sur la prise en charge, ou sur
les politiques publiques ?
Cet
axe mettra en avant les réflexions liées au corps handicapé, au corps mutilé ou
difforme, au corps « anormal », au corps rééduqué. Il s’agira de questionner
les processus identitaires de réadaptation, les expériences subjectives, les
stratégies individuelles de réinvestissement corporel, mais aussi les
problématiques de discriminations subies ou vécues, de limitations dans
l’espace quotidien et collectif ou dans l’interaction sociale. Plus encore,
nous interrogerons les limites des concepts de classification dualistes :
validité / invalidité, normal / pathologique, handicap / augmentation, rejet /
acceptation, intégration / exclusion, etc.
3. Les
modifications à visées ludiques : la réappropriation des technosciences pour la
mise en scène de la métamorphose physique et identitaire
Les
sociétés occidentales contemporaines ont vu émerger un modèle de « corps
rationnel », qui s’est notamment développé avec la réappropriation de matériaux
artificiels d’abord utilisés dans le cadre de la biomédecine et des
technosciences. De nouvelles pratiques apparaissent alors progressivement,
mettant en avant certaines modifications physiques inscrites dans une
perspective ludique et exploratoire, dont l’ambition est l’augmentation des
possibilités corporelles.
Celles-ci
sont effectuées dans une démarche volontaire et expérimentale ; ces
modifications permettent à leurs praticiens de développer une « corporalité »
inédite par l’apport de nouvelles fonctionnalités liées à l’utilisation et
l’expérimentation de techniques et pratiques originales. Ces nouvelles formes
de modifications modèlent une vision futuriste du corps technologiquement transformé,
une vision qui est déjà au cœur des productions culturelles contemporaines
cyberpunk. C’est dans cette perspective que notre groupe de travail discutera
de l’émergence de pratiques qui s’inscrivent dans la démarche do-it-yourself en traitant
des modifications corporelles extrêmes (qui peuvent commencer avec les
tatouages et piercings et s’étendre à des changements plus radicaux dans la
performance artistique et certains mouvements culturels) avec un but
fonctionnel ou ludique.
Ce
groupe de travail cherche des contributions qui étudient la façon dont les
techniques modernes sont (ou peuvent être) utilisées pour transformer la
«nature originelle» d’un corps en « l’augmentant » par l’ajout d’artefacts
fonctionnels, non plus pour compenser une défaillance physique, mais pour
offrir des fonctions supplémentaires. Nous nous intéressons donc aux implants
et prothèses « ludiques » trouvés notamment dans les milieux artistiques et
technophiles (par exemple, l’implant de puces électroniques ; d'aimants ; d'implants
sous-cutanés simples ou 3D, vibrants ou LED ou d'implants transdermiques, entre
autres). En mettant l’accent sur l’émergence de nouvelles formes de
modifications physiologiques liant l’organisme à des composants prothétiques,
notre groupe de travail cherchera à analyser de façon critique ce phénomène et
ses enjeux, notamment dans le cadre de la (re) définition de la corporalité.
Enfin, de manière transversale, d’autres pistes sur la problématique des
tensions entre les corps et les techniques sont possibles et nous ne souhaitons
pas limiter ici les propositions éventuelles qui pourraient nous être faites.
4. Le corps
objet de la pensée artistique. Modalités et formes d’usages à des fins
sociologiques et politiques
Le
corps, constamment sujet de prédilection de l’art, est envisagé en tant que
principal objet de présentations et de représentations. La relation de
l’artiste avec son œuvre et son corps évolue en fonction des transformations
sociétales et technologiques. Le corps s’adapte à ces transformations et son
usage évolue. Le corps peut être traité non seulement en formes géométriques
simples, mais comme un objet complexe parlant par son anatomie, ses organes, sa
chair et sa peau.
Cet
axe s’intéresse au corps, comme objet principal de la pensée artistique, et aux
œuvres d’arts et ses reproches extra-disciplinaires (anthropologiques,
sociologiques et politiques). Dans cet axe, nous voulons mettre en avant les
formes d’usage du corps dans des pratiques artistiques contemporaines (comme la
photographie, la danse, le théâtre, le happening, la performance) autour des
modalités de présentations et de représentations du corps. Nous nous
intéressons en particulier aux pratiques artistiques qui tirent parti des
questions liées aux notions de gestes, de mises en action, de mouvements, de
prises de position, de manipulations, d’expressions de soi, de rituels, des
codes sociaux...
Le
principal objectif est de voir comment les artistes contemporains se sont
appropriés le corps et tout ce qu’il véhicule comme signes pour faire œuvre.
Ainsi, il s’agit de connaître et de comprendre les différentes collaborations
possibles entre le domaine artistique et le domaine sociologique vis-à-vis des
transformations faites du corps dans les différentes catégories d’œuvres d’art
des artistes d’aujourd’hui.
Organisation
du colloque et modalités de soumission
Pendant
les matinées nous assisterons à des cycles de conférences ouvertes au public.
Après une pause déjeuner, nous vous inviterons à suivre des tables rondes entre
chercheurs et acteurs de terrain et des ateliers pratiques où vous pouvez
expérimenter une « réflexion participante » par le biais d’activités proposées
par des « modificateurs » corporels. Lors des soirées, les contributeurs seront
invités à se rendre aux performances proposées par le collectif INACT,
partenaire de l’événement.
Modalités
de soumission
Nous
attendons des propositions sous trois formats distincts :
- Une communication scientifique pour les sessions de conférences. Tous
les axes de recherche seront abordés.
- Une participation aux tables rondes. Les participants seront des
acteurs de terrain (« modificateurs » et « modifiés ») et des
doctorants/chercheurs. Ce sera l’occasion de confronter la théorie avec la
pratique, les expériences et récits de terrain seront au cœur des débats.
- La création d’un atelier immersif/artistique. Il s’agit de
nous proposer la réalisation d’un atelier mettant en situation une
expérimentation d’interventions corporelles ou d’appareillages qui modifient
(augmentent/déforment/changent) les perceptions, les capacités ou l’apparence
corporelle. Par exemple, des ateliers qui permettent de saisir la volubilité
corporelle des notions de genre, appartenance ethnique, sociale ou « humaine »
sont les bienvenus. La durée de l’atelier se développera dans un espace de
15-20 minutes, les places sont limitées à 15 personnes par atelier.
Le
collectif INACT fournira par ailleurs son propre appel à artistes, auquel
vous pourrez répondre en proposant des performances qui auront lieu lors des
journées d’étude.
Un
résumé de la proposition de participation (entre 300 et 500 mots) doit être
présenté sous format .DOC ou .PDF dont le titre contiendra le nom de l’auteur
précédé du format de la proposi- tion (par exemple : « Communication-Dupond »,
« TableRonde-Dupond » ou encore « Atelier-Dupond »). Une même personne peut
soumettre plusieurs propositions, de même format ou de formats différents. Le
résumé doit être complété par une courte présentation de l’auteur.
Les
propositions contenant de descriptifs visuels (photographies ou vidéos) doivent
être postées sur le site suivant : https://www.wetransfer.com
- en indiquant le nom de l’auteur et le titre du projet.
La
réponse du comité de sélection sera transmise aux auteurs avant le 1er septembre 2015. Le colloque
se déroulera du 28 au 30 avril 2016, à l’Université de Strasbourg.
Comité
d’organisation
David Le Breton
Professeur de sociologie
Université de Strasbourg-CNRS.
Eva Carpigo
Doctorante en anthropologie
Université de Strasbourg-CNRS.
Valentine Gourinat
Doctorante en éthique et en sciences de la vie
Université de Strasbourg-CNRS, Université de Lausanne.
Najoua Kefi
Doctorante en sociologie et en théorie de l’art
Université de Strasbourg- CNRS, Université de Tunis.
Bárbara Nascimento Duarte
Docteure en sciences sociales
Université de Strasbourg- CNRS, Université de Juiz de Fora.
Adresse
de contact : corps.modifies@misha.fr